« Monsieur le Président de la République... »

La lettre de Marguerite Carbonare à Nicolas Sarkozy

Madame Marguerite Carbonare
26220 DIEULEFIT

à
Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du faubourg Saint-Honoré
75008 Paris

Dieulefit, ce 20 février 2010

Monsieur le Président de la République,

La reprise des relations diplomatiques entre notre pays et le Rwanda m’a remplie de reconnaissance et votre voyage à Kigali me fait espérer qu’un certain nombre de contentieux entre nos deux pays vont pouvoir être abordés sereinement.

Il en est un, très difficile pour vous, je le sais, mais vous avez déjà montré que vous pouviez surmonter et traverser des situations délicates. Je veux parler de l’implication de certains éléments de notre armée dans ce génocide effroyable perpétré, il y a bientôt 16 ans, contre les Tutsi et les Hutu opposants à un régime qui ne laissait aucune place à 15% de la population rwandaise.

Votre Ministre des Affaires Etrangères, bien informé de ce qui s’est passé, vous a exposé les grandes lignes de tous ces évènements. Cependant vous hésitez à mettre en cause quelques dizaines de personnes qui, au nom de la France, ont terni là-bas l’image que les Rwandais se faisaient de notre pays, celle des Droits de l’Homme.

J’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises et encore l’été dernier, de rencontrer des rescapés. Seize ans après, Monsieur le Président, ces hommes et ces femmes souffrent, non seulement de blessures physiques et du sida, mais souffrent psychiquement. Nous en avons été émus et avons décidé, dans la mesure de nos moyens, de leur montrer que ce n’était pas le peuple français dans son ensemble qui avait participé, de près ou de loin, à cette immense tuerie. Nous avons anticipé le geste que nous aimerions vous voir accomplir. Au début les rescapés étaient très méfiants à notre égard car nous représentions cette France qu’ils haïssaient ( le mot n’est pas trop fort).

En geste de réparation, nous avons offert une centaine de vaches dans cette région de Bisesero où notre armée, dans le cadre de l’Opération Turquoise, a attendu trois jours pour porter secours aux rescapés et a laissé massacrer un millier de survivants sur les deux mille restant. Vous êtes au courant.

Mais ce que vous ignorez sans doute, c’est que les visages de ces hommes et ses femmes ont changé. Ils étaient durs, fermés, ils se sont éclairés de sympathie. Je peux vous affirmer que grâce à ce geste et à ceux qui vont suivre, nous espérons redonner à la France son plus beau visage : celui de la fraternité.

Alors, Monsieur le Président, je vous supplie, au nom de la France que vous représentez, de dire un mot, peut-être pas celui de repentance ou de regret, je pense que vous ne le ferez pas, mais trouvez une formule qui mette un baume sur le cœur de tous ces survivants et sur celui des familles endeuillées.


Éric Fuchs a écrit : « Notre société est malade de ne pas accepter toute la responsabilité de son passé. Il n’y a pas d’avenir pour une société incapable de demander pardon ».

Je vous fais confiance, vous saurez trouver le mot juste, même si l’expression « demander pardon » est difficile, même si vous ne l’employez pas telle quelle, montrez de mon pays un visage généreux et vrai.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon profond respect.

Marguerite Carbonare